24–27 September 2020

61ème rencontres du Centre Européen d’Etudes Bourguignonnes, Enghien

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Allocution du Président du Centre Européen d’Etudes Bourguignonnes

Mesdames et messieurs, chers amis du CEEB et du CAE, chers amis des Pays-Bas Bourguignons,

C’est avec plaisir que nous vous accueillons à Enghien et nous félicitons nos secrétaires-généraux d’avoir tenu bon en maintenant les dates malgré les incertitudes liées à une pandémie qui menace à la fois notre santé et encore plus notre portefeuille.

Et pourtant, tous les amateurs de la grande Histoire le savent, ce n’est pas la première fois que certaines régions du globe, voire le globe tout entier, sont frappées par ce genre de calamité.

Rappelons-nous brièvement la peste sous l’empereur Antonin 165-180, 5 millions de morts, la peste sous l’empereur Justinien 541-588, 50 millions de morts, la peste noire 1348-1350, 30 millions de morts en Europe, la variole 1519-1520 qui décime cinq millions d’Indiens au Mexique, le cocolitzli ou fièvre jaune 1545-1548 puis 1576-78 qui liquide respectivement 15 millions puis 2.5 millions d’Indiens, toujours au Mexique,  la grande peste des années 1894-1922 qui tue 10 millions de personnes en Chine et en Inde, la grippe dite espagnole qui élimine davantage d’êtres vivants que la Grande Guerre, la ‘der des ders’. Plus récemment, il y a eu la grippe asiatique 1957-8 et la grippe de Hong Kong 1968 qui ont fait chacune un million de morts sans oublier le SIDA depuis 1981, 32 millions de morts, et Ebola qui reste une des épidémies les plus spectaculaires et les plus atroces qu’on puisse imaginer.

Tout ceci pour nous rappeler pourquoi l’enseignement de l’Histoire demeure important, même si nous savons tous que la mémoire est la faculté qui oublie et que nous n’apprenons rien ou fort peu de l’Histoire.

Espérons néanmoins que nous allons tirer certaines conclusions de ce qui nous arrive pour essayer de faire mieux la prochaine fois.

Revenons au sujet du jour : nous sommes à Enghien, une Seigneurie appartenant aux Seigneurs d’Enghien, puis au roi de France Henri IV qui la vend à Charles d’Arenberg et à son épouse la très énergique Anne de Croy en 1607.

En effet, les princes d’Arenberg, restés fidèles à Sa Majesté le Roi d’Espagne Philippe II et à la foi catholique avaient eu le malheur de voir leurs biens confisqués par le Séquestre hollandais de 1572.

Ils se trouvèrent donc contraints de chercher refuge dans la partie méridionale des Pays-Bas Espagnols, dans les dix provinces qui n’avaient pas fait sécession et achetèrent la Seigneurie d’Enghien en fort mauvais état, il faut le dire.

Le Père capucin Charles d’Arenberg, un des fils de Charles, s’engagea beaucoup pour le parc d’Enghien qui devint un des plus fameux parcs jardinés de son temps.

Le duc Leopold-Philippe d’Arenberg et en particulier son fils le duc Charles-Marie-Raymond résidèrent à Enghien.

En 1786, la partie nouvelle du château qui venait d’être construit à l’emplacement où se trouve encore aujourd’hui la tour castrale brûle et n’est pas reconstruit car la Révolution Française est toute proche.

Les troupes françaises d’occupation puis des cosaques logent sur place.

Le duc aveugle Louis-Engelbert restaure l’Orangerie et les murs du parc mais son fils Prosper-Louis n’y séjournera plus, même s’il y dépense des sommes considérables pour y installer notamment les fameuses serres d’Enghien qui constitueront le fonds historique des serres de Laeken actuelle quand elles seront rachetées en 1877.

En 1912, son petit-fils, Engelbert-Marie, loue la propriété au baron Empain qui la rachète au Séquestre belge après la fin de la guerre et y construit le château qui existe encore de nos jours.

En 1986, la Ville d’Enghien rachète le parc pour la somme de 92.500.000 francs belges à la famille Empain.

Quant à la famille d’Arenberg, elle réapparaît de nouveau à Enghien dans les années 1960 quand le prince Erik d’Arenberg et sa sœur, la princesse Lydia de Savoie-Gênes créent l’asbl Studium Arenbergense pour s’occuper des archives familiales qu’ils déposent à Enghien et qu’ils confient à la garde des pères capucins avec lesquels la famille entretenait des liens particuliers depuis plus de trois siècles.

Enghien est également le siège d’une autre asbl Archives et Centre Culturel d’Arenberg fondée par la famille en 1997 et celui de la Fondation d’Arenberg, créée en 2010.

La saga d’Arenberg à Enghien n’est donc pas terminée et pourrait même prendre une nouvelle tournure au cours des prochains mois.

Qui vivra verra.

Venons-en maintenant au sujet du jour qui est un sujet d’actualité car il concerne l’écologie dans un sens large puisque nous allons parler de 
‘Entre réel et imaginaire : les animaux dans l’histoire, l’art et la littérature à l’époque bourguignonne (XIV-XVIè siècles).

En passant en revue la liste des sujets qui seront développés au cours des jours qui vont suivre, je constate que nous parlerons du cheval, du chien, de l’oiseau dans les entremets bourguignons, d’animaux d’Amérique, de l’aigle impérial, du lion et du griffon et même du dragon d’Adrien de Croy.

J’avoue ma déception en ne voyant personne traiter de l’animal sans doute le plus emblématique de nos régions, à savoir le Sanglier, en particulier le Sanglier des Ardennes ou les Sangliers des Ardennes, ces guerriers qui défrayé la chronique à la fin de l’époque bourguignonne et dont je me sens proche. Permettez-moi de réparer cette lacune en guise d’introduction.

De la tête à la queue, les mâles adultes mesurent de 100-185 cm. Leur hauteur va jusqu’à 110 cm et leur poids varie de 35 à 300 kg, la moyenne étant de 135 kg. Les dimensions augmentent d’ouest en est. C’est ainsi que l’on trouve en Lorraine les plus gros sangliers de France (avec le Jura et les Ardennes). Les variations saisonnières de poids sont importantes et l’animal peut perdre jusqu’à 50% de sa masse si les conditions ambiantes sont très mauvaises et doubler de poids si elles sont excellentes, et cela en quelques semaines. Poids à la naissance : environ 1.1 kg. Le sanglier possède 44 dents. Les mâles ont sur les flancs, une épaisse couche de cartilage (4 cm) qui les protège lors des batailles à l’époque du rut. Ils possèdent également des défenses (mâchoire inférieure) et des grès (mâchoire supérieure). Ces deux dents frottent les unes sur les autres et assurent ainsi un affûtage parfait. Avis aux amateurs.

Dans un livre intitulé ‘ Le lys et le sanglier’, écrit par le marquis de Trazegnies, la recherche des sources historiques ayant été effectuée par le signataire de ces lignes, l’auteur rend hommage à cet animal mythique et rappelle le souvenir de ceux qu’on a affublés de son nom.

Permettez-moi de citer l’auteur dans le texte : (voir annexe)

Guillaume de La Marck d’Arembergh est resté dans nos mémoires comme le « sanglier des Ardennes ». Son image de fauve hirsute a largement survécu à une carrière tourmentée. Et pourtant jamais ses contemporains ne le connurent autrement que sous le sobriquer de « Guillaume à la barbe ». Peut-être ce souvenir effrayé, mêlé aux aventures conjugales de Henry VIII et à d’autres poussières de la conscience populaire, a-t-il mené directement au célèbre conte de Perrault. D’une certaine façon Barbe bleue est né dans les tourments de cette fin de Moyen Âge entre la France et la Germanie. Mais curieusement il s’est effacé au profit du sombre animal des sous-bois dont Walter Scott a décrit les galops et les crimes dans son « Quentin Durward ». Les forêts d’Europe du Nord étaient autrefois profondes, emplies de feuilles, de ronces et de nuit. Point de hautes futaies, mais des arbres embrouillés, des branches tombées, des bois morts que venaient régulièrement ramasser les paysans des villages alentour ! On y menait les cochons à la glandée. De temps en temps passaient l’équipage et les chiens d’un grand seigneur. Les chroniques sont pleines d’accident causés par l’existence d’un sol qui se dérobe sous le cheval ou la présence d’un demi-chêne abattu. De plus les proscrits de tout bord, les marginaux , les soldats et les serfs en rupture de ban se réfugiaient dans ces zones obscures pour y mener une vie misérable et attaquer les voyageurs. C’était donc un espace de crainte, à peine entrecoupé de clairières, de licornes et de fées. Les forêts faisaient partie du royaume de l’inconscient. Et dans ces masses impénétrables vivaient quelques rares bêtes féroces, animaux qui n’effraient plus de nos jours, mais que l’absence de lumière et d’armes appropriées rendait proches du diable. Des bandes de loup attaquaient les promeneurs, les ours occupaient les cavernes et les chemins creux pour mieux surprendre leurs victimes ; quand ils ne portaient pas la croix de Saint-Hubert, les cerfs surgissaient des halliers avec une furie meurtrière ; enfin, plus près de la terre et des mousses, chargés d’une odeur d’humus, hérissés de feu Saint-Elme et grognant comme une armée démoniaque, chargeaient les sangliers.

Le sanglier, par son aspect lourd et trapu, par sa force physique, son groin admiré dévastateur et ses défenses, plus tranchantes qu’un rasoir, est à la fois redouté et admiré depuis le paléolithique. Au roc de Sers ou dans les grottes d’Altamira, cet animal apparait déjà comme la vigueur souterraine, la réalité cachée, la pesanteur de l’instinct de mort. Son habitude de courir droit devant lui, puis de se retourner brutalement contre ses poursuivants et de les éventrer dans sa fureur, apparente le cochon sauvage au « toro » de la corrida espagnole. Il symbolise une certaine agressivité masculine, une forme d’état viril dans un monde où le sang qui coule est l’or d’une réalité secrète.

L’animal fascine et excite le chasseur. Philippe le Bel ne fut-il pas tué par un sanglier furieux dans la forêt de Fontainebleau ? Quant à François Ier, il perça de son épée un autre de ces fauves qui avait forcé les portes du château d’Amboise. Là où l’exécuteur des Templiers périssait sous les crocs d’un envoyé des enfers, le roi chevalier gagnait par son courage un brevet de gaillardise. La mythologie du Moyen Âge fait au sanglier une place considérable. Du roi Modus au duc Begon de Belin, « li pors » est « l’aversier » (l’ennemi, le démon) par excellence. Le fameux comte de Foix, Gaston Phoebus, dans son « Livre de la chasse » décrit la manière de « férir » le terrible animal et s’y attache comme à un véritable rituel : « Et s’il veut (le veneur), quand il est à cheval, porter un épieu dans sa main, il a bien raison, encore que ce soit plus belle chose et plus noble de frapper le sanglier de l’épée ».

Guillaume de Braquement était appelé le « chenglier d’Ardenne ». Son neveu, Jean II de La Marck sera le premier de sa famille à reprendre un tel surnom, qui caractérisera encore la génération suivante. Aussi n’est-il pas étonnant qu’on l’ait également appliqué à son quatrième fils Guillaume. Après lui, il y aura encore les Robert, notamment Robert II de La Marck, dit Robert le diable ou le grand sanglier, l’homme qui défia les troupes de l’empereur Charles-Quint à partir de son repaire de Lognes en 1521. Et n’oublions pas qu’en allemand, sanglier se dit « Eber . Eberhardt (Evrard ou Erard) ne signifie rien d’autre que « fort comme un sanglier ». Les contemporains germanophones d’Evrard II et d’Evrard III savaient ce que parler veut dire. La légende du sanglier des Ardennes doit beaucoup aux prénoms portés par les géants de sa lignée.
Je souhaite à tous les participants un excellent séminaire et remercie encore tout particulièrement les organisateurs de ces journées, j’ai nommé les secrétaires généraux du CEEB, le professeur Alain Marchandisse et le conservateur Gilles Docquier.

Je ne voudrais pas oublier le généreux soutien de la Ville d’Enghien et la bienveillance de son bourgmestre, monsieur Saint-Amand. 

Mes félicitations et mes remerciements pour l’engagement exceptionnel du président d’un Cercle Archéologique d’Enghien redevenu heureusement très dynamique, monsieur Marc Vanderstichelen, qui aura permis de surmonter tous les obstacles qui ont été nombreux, il faut le dire.  Rien n’aurait été possible sans lui.

Un grand merci enfin aux précieux collaborateurs de la Fondation d’Arenberg, mesdames Lieve Bické et Isabelle vanden Hove ainsi que monsieur Guy Lernout pour leur suivi et leur disponibilité.

Et pour terminer, je ne peux m’empêcher de citer ce poème du plus grand poète méconnu de nos régions, Olivier de Trazegnies, qui fait un pied-de-nez au corona virus et nous donne courage et espoir :

Eh bien ! C’est fait ! Nous voilà con…
Finés, comme ce mot l’explique !
Pourvu que cela ne se com …
Voyons ! Comment dire … complique !
Ce virus un peu chinois.
Russe ou bien chinois, peu importe
Il est venu en tapinois.
A présent qu’il prenne la porte !
Même s’il change, mute ou vire,
On le virera cet intrus.
Tu prendras le premier navire,
A fond de cale, sot virus !
Si tu veux retourner en Chine,
On volera ton passeport.
La Ségur née Rostopchine
Dans ses romans sera d’accord.
Et tu n’auras pour perspective
Que de finir tes tristes jours
En n’abordant aucune rive
Sinon l’océan pour toujours.
Corroy-le-Château 18 mars 2020

Enghien, le 24 septembre 2020

Duc d’Arenberg, président du CEEB