Rencontres du Centre Européen d'Etudes Bourguignonnes - Les cultures de la décision dans l'espace bourguignon: acteurs, conflits, représentations
Zurück zur Übersicht
Westfälische Wilhelms-Universität
Münster, 22-25 September 2016
Program
Opening speech by duke Leopold d’Arenberg, president of the Centre Européen d’Études Bourguignonnes
Discours C.E.E.B Münster 22 septembre 2016
Mesdames et Messieurs, sehr geehrte Damen und Herren, chers membres du Centre Européen d’Etudes Bourguignonnes, sehr geehrte Professoren,
C’est un grand plaisir et un grand honneur pour moi de m’adresser à vous ici dans cette belle ville de
Münster où le C.E.E.B siège pour la première fois, ce qui est un témoignage de solidarité européenne
puisque nous bénéficions du généreux accueil de nos collègues de l’Université de Münster.
Puisque nous sommes à la fois réunis tous ensemble à l’occasion de ce séminaire de trois jours en
Allemagne, c’est l’occasion pour rappeler plus que jamais l’importance des échanges personnels et
interculturels au niveau européen.
Notre chère Europe est affrontée à des défis nouveaux qu’elle devra surmonter pour survivre et
assurer notre juste place dans un monde où de nouvelles grandes puissances ‘in spe’ montrent les
dents et contestent de plus en plus l’universalisme occidental.
Je profite de l’occasion de notre présence sur le sol allemand pour vous livrer quelques réflexions un
tantinet impertinentes au sujet de ce pays ami et des défis qui l’attendent au tournant.
C’est à l’Allemagne en effet qu’incombe maintenant une lourde responsabilité suite au Brexit qui est
un coup dur asséné à la ‘success story’ de la construction européenne et qui assombrit le futur de
notre continent.
Ces dernières années, les citoyens européens ont pu constater que les traités européens signés en
fanfare ne sont pas appliqués par les Etats membres, ceux-là mêmes qui se réclament de
l’état de droit. Je pense au traité de Maestricht, dont se moquent les grands Etats, la France en
particulier. Je pense au traité de Schengen censé protéger nos frontières communes qui n’est pas
appliqué par l’Italie et par la Grèce, débordés par l’immigration massive de ces deux dernières
années. Je pense enfin au traité de Dublin, foulé aux pieds par l’Allemagne en 2015, au grand dam
des pays du groupe dit ‘de Visegrad’ mais aussi de la France et du Royaume-Uni.
Notre monnaie unique, l’Euro, est bien malade et la banque centrale européenne a été appelée à la
rescousse par les élites politiques pour éviter la faillite de ses membres les plus faibles et donner du
temps au temps. En effet, depuis la crise de 2008 provoquée une fois de plus par les cousins
d’Outre-Atlantique, nous assistons à un gigantesque transfert de ressources financières des
épargnants européens vers les débiteurs européens, publics ou privés, avec l’instauration de taux
d’intérêt négatifs. Nul ne pourra prédire combien de temps encore les Etats du nord de l’Europe vont
accepter cette douloureuse ponction et combien de temps encore les Etats du sud de l’Europe vont
accepter un corset financier qui les empêche de dévaluer pour retrouver une compétitivité à l’instar
de ce qu’ils pratiquaient auparavant. Et, surtout, il est permis de se demander ce qu’il adviendra de
nos pensions dans ces conditions.
L’Eurocratie Bruxelloise sans cesse à la recherche de nouveaux chantiers pour justifier son pouvoir au
nom de la construction européenne a négligé, voire méprisé, la question des identités et ne s’est pas
suffisamment efforcée de respecter le principe de subsidiarité. La question identitaire est donc
revenue en force, notamment au Royaume-Uni qui n’a pas obtenu la levée du dogme européen de la
libre circulation des personnes et qui pourrait faire des émules en France ou ailleurs.
Et pour la première fois, un candidat à la présidentielle américaine nous fait savoir que l’aide militaire
ne sera plus gratuite et automatique puisque les alliés européens ne montrent que peu
d’empressement à payer le juste prix de leur défense tout en critiquant trop souvent leur allié et
grand-frère américain alors qu’ils sont en position de faiblesse.
L’Allemagne aura une responsabilité toute particulière dans ce jeu délicat qui s’annonce et elle est bien
placée pour ce faire.
Tout d’abord, il y a sa situation géographique très centrale entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe
de l’Est et son excellent réseau de communication.
Ensuite, il y a son expérience historique qui peut se décliner de deux manières.
Rappelons-nous du XXème siècle. L’Allemagne est le seul pays à avoir perdu deux guerres
mondiales et les Romains le savaient déjà depuis 390 avant J.C quand le chef gaulois Brennus leur
avait appris la signification du « Vae Victis ».
Après la première guerre mondiale, l’Empire allemand déclaré coupable de tous les maux de
la terre par les puissances victorieuses, paya le prix fort de ce conflit en devenant le paria des nations.
L’Allemagne qui se battait sur deux fronts comptait le plus de soldats tués au combat, soit 2 millions
pour 1.800.000 aux Russes, 1.385.000 aux Français, 1.100.000 aux Austro-Hongrois, 950.000 aux
Britanniques, 460.000 à l’Italie et 115.000 aux Américains également impliqués dans le conflit depuis
leur déclaration de guerre à l’Allemagne le 6.4.1917.
Aux deux millions de morts tombés au champ d’honneur ou décédés sans gloire dans les hôpitaux
militaires s’ajoutaient plus de huit cent mille civils victimes des suites du blocus économique organisé
de main de maître par les puissances de l’Entente.
En outre, le pays perdit l’Alsace-Lorraine récupérée par la France, la Poznanie ou Prusse occidentale
ainsi que la Haute-Silésie devinrent partie intégrante de la Pologne, le Schleswig du Nord re-devint
danois, les cantons rédimés d’Eupen-Malmédy furent rattachés à la Belgique à défaut du Grand
Duché, Memel devint lithuanienne sans oublier la ville libre de Danzig.
Au total le pays passa de 540.000 à 467.000 km2 et de 67 millions à 59 millions d’habitants.
L’Empire confédéral devint une république centralisée, ce qui facilita la tâche d’un agitateur
autrichien qui s’empara du pouvoir le 30 janvier 1933 pour plonger un pays qui n’était pas le sien
dans un conflit encore beaucoup plus meurtrier où l’Allemagne perdit bien plus que la guerre, où
elle se perdit elle-même avec sa tradition millénaire, sa bonne conscience et sa fierté.
Jugez par vous-même : en 1945, l’Allemagne, complètement détruite, ruinée économiquement,
affaiblie moralement suite aux atrocités commises par les criminels qui l’avaient gouvernée,
comptait plus de sept millions de morts, dont la moitié de civils, soit près de 11% de la population
totale sans compter 1.600.000 de blessés graves, mutilés à vie, et avait perdu plus du quart de son
territoire national, soit 120.000 km2 supplémentaires; en outre, 1945 fut sans doute l’année de la
plus grande « purification ethnique » de l’histoire avec l’expulsion de leurs territoires ancestraux de
tous les Germanophones habitant au-delà de la ligne Oder-Neisse, soit près de 18 millions de
personnes en provenance de Prusse orientale, de Poméranie, de Silésie, de Posnanie, des Sudètes, de
Yougoslavie, de Roumanie et de Hongrie, les Allemands dits de la Volga ayant été déportés par
Staline le 22 juin 1941 au Kazakhstan et en Sibérie.
L’Allemagne fut occupée par les puissances victorieuses et bientôt divisée en deux pays
antagonistes, la R.F.A et la R.D.A.
Inutile de dire que vous changez après avoir pris une telle raclée. Dans un premier temps, vous vous
concentrez sur la reconstruction et c’est ce qu’on appellera le miracle économique allemand de
l’après-guerre. Vous essayez également de regagner la confiance de vos adversaires victorieux et
recherchez leur coopération qui est accordée puisque les élites politiques européennes occidentales
avaient réalisé entre-temps que le traité de Versailles était partiellement responsable de la
catastrophe sans oublier la guerre froide naissante qui remit l’Allemagne ou plutôt ce qu’il en restait,
la R.F.A, aux premières loges des préoccupations occidentales.
L’Allemagne devint un ‘autre animal’, désireuse de faire oublier son passé, se méfiant d’un
nationalisme qui lui avait joué de si mauvais tours et voyant dans la construction européenne un
moyen de tourner définitivement la page, en résumé une grande chance pour le projet d’Alcide de
Gasperi, Robert Schumann et de Konrad Adenauer, ces trois Germanophones de l’ancienne
Lotharingie, du pays du milieu.
Un autre aspect de l’expérience historique allemande et un atout pour l’Europe, est la bonne
compréhension par l’Allemagne du fédéralisme, ce système politique qui permet aux peuples de
vivre ensemble, sur des bases territoriales distinctes, respectueuses des sensibilités nationales,
régionales, linguistiques et culturelles, les bonnes clôtures faisant les bons voisins. En effet, l’Europe
sera fédérale ou ne sera pas.
Le St Empire de la Nation germanique, créé en 962 par Othon Ier et dissous en 1806 par François II se
composait de Germanophones, de Néerlandophones, d’Italophones, de Francophones, de locuteurs
de langue tchèque et couvrait à différentes étapes de son histoire millénaire l’Allemagne, le Benelux
actuel, la France du Nord et du Sud Est, la Bohême-Moravie, l’Italie du Nord et du Sud, l’Autriche, la
Slovénie …
En 1803, à l’occasion du recès de la Diète impériale, les Etats ‘allemands’ passent de 360 à 40 et puis
de 40 à 25 jusqu’à la proclamation du 2ème empire, celui de Guillaume Ier et de Bismarck en 1871.
Parmi les Etats qui disparurent dans cet intervalle, mentionnons : le royaume de Hanovre, le duché
d’Arenberg les principautés d’Ysenburg, de Nassau et de Hessen-Kassel,...
Jusqu’à la première guerre mondiale, l’Empereur d’Allemagne était également roi de Prusse mais il y
avait le roi de Bavière, le roi de Saxe, le roi de Württemberg, le Grand-Duc de Bade, le Grand-Duc de
Hessen-Darmstadt, le Grand-Duc de Mecklembourg-Schwerin, le Grand-Duc d’Oldenburg, le Grand
Duc de Saxe- Weimar, les ducs d’Anhalt, de Brunswick (un Hanovre), de Mecklenburg-Strelitz, de
Saxe (Altenburg, Coburg-Gotha, Meiningen), les princes de Hohenzollern, Lippe, Reuss schwarze et
weisse Linie, Schaumburg-Lippe, Schwarzburg Sondershausen et Rudolfstadt, Waldeck sans oublier
les villes hanséatiques d’Hambourg et de Brême. Ces souverains étaient évidemment bien plus que
de simples ministres présidents de Länder, d’Etats fédérés, de l’après-guerre et apparaissaient
comme les symboles vivants des particularismes régionaux des peuples d’Allemagne.
Un dernier avantage de l’Allemagne réunifiée est sa population de 82 millions de citoyens, en
déclin démographique pour des raisons historiques, et son économie prospère grâce à ses millions
d’entrepreneurs, son savoir-faire industriel, la qualité de ses produits, mais en même temps
faussement prospère en raison d’un EURO faible qui favorise artificiellement les exportations et de
taux d’intérêts beaucoup trop bas qui permettent aux politiques de rembourser des dettes à 5% pour
en contracter de nouvelles qui coûtent 0%, ce qui donne le change quant à la bonne santé
économique du pays, d’autant plus que le taux d’endettement ne diminue pas vraiment et que cette
embellie provisoire est bien volontiers dépensée par la classe politique pour s’assurer la fidélité de
l’électorat.
La plus grande économie européenne avec un PNB de 3.600 milliards de $ a désindustrialisé mais
beaucoup moins que ses voisins, sans doute aussi parce que les partenaires sociaux ont mieux géré
les conflits de travail des décennies passées, ce qui a évité des délocalisations et des fermetures
d’usines dans le pays. En effet, la part du secteur secondaire s’élève encore à plus ou moins 30% du
PNB, beaucoup plus que les 15-20% de ses plus grands voisins, ce qui permet à l’économie du pays
de reposer sur une base plus solide car diversifiée.
L’Allemagne est un des champions mondiaux de l’exportation et réussit à exporter une part
croissante de ses biens et de ses services hors des frontières européennes, ses plus grands
partenaires commerciaux étant dans l’ordre la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, les Pays-Bas
et la Chine, pays avec lequel l’Allemagne n’a jamais eu ou presque d’excédent commercial à ce jour.
Si les excédents commerciaux du pays sont fortement critiqués de temps à autre par des voisins dont
la jalousie est masquée par l’indignation vertueuse, n’oublions pas que ces mêmes pays voisins en
profitent également dans la mesure où ils fournissent à l’industrie allemande ce dont elle a besoin. Je
pense notamment aux pays du Benelux.
Enfin, l’Allemagne est de très loin le plus grand financier de l’Union Européenne, de l’Europe de l’Est
en particulier, sa charge risquant d’augmenter fortement suite au départ de la deuxième plus grande
économie du continent, le Royaume-Uni.
Dernier point à remarquer : depuis le second conflit mondial, ce pays a été également caractérisé
par une grande stabilité politique, les deux grands partis populaires et/ou populistes de l’après
guerre, la CDU et le SPD, étant tout deux les chantres d’une politique européenne fédérale d’Union.
Mais, à l’instar des années 70 qui a vu l’émergence d’un parti de protestation, les Verts, nous
constatons maintenant l’émergence d’un nouveau parti, l’AFD, qui prône une vraie alternative pour
le pays et a pour l’instant le vent en poupe suite à la politique d’immigration pratiquée par la
chancelière en place. Nous verrons bien ce qu’il adviendra de cette proverbiale stabilité et des
conséquences à prévoir pour la construction européenne.
En fait, l’Europe est un enjeu trop important pour le laisser dans les mains des seuls politiciens et
c’est à chacun d’entre nous qu’il incombe de contribuer à la construction de cet édifice.
Les Fondations d’Arenberg s’investissent dans ce grand chantier depuis des décennies en faisant la
promotion de l’Histoire et de la Culture de notre continent. Nos archives familiales couvrant un
millénaire sont accessibles au public sur rendez-vous. Nous organisons des prix d’Histoire, les prix
« duc d’Arenberg » depuis 1992, le prix Arenberg Coimbra en collaboration avec le groupe
universitaire Coimbra depuis 1997, le prix Collège de l’Europe Arenberg depuis 2013. En 2017, il y
aura un séminaire à Vienne que nous organiserons avec l’Académie des Sciences et qui traitera de la
résistance armée en Europe de l’Est entre 1945 et 19…55, ensuite une remise de notre prix Collège
de l’Europe Arenberg au Parlement Européen, un rallye automobile culturel qui reliera la ville belge
d’Enghien à la ville française d’Arenberg Wallers, la remise de notre prix Arenberg Coimbra,
l’organisation d’un séminaire avec les Académies royales de Belgique consacré à la cybernétique.
Nous continuerons notre collaboration avec la bibliothèque mazarine et l’Académie française,
institutions prestigieuses avec lesquelles nous publierons deux ouvrages. Nous achèverons
également l’écriture de l’histoire familiale commencée en 1986 avec deux ouvrages consacrés à la
France et à l’Autriche-Bohême-Moravie, au total sept livres réalisés avec la collaboration d’une
centaine d’historiens, de chercheurs et d’archivistes couvrant un millénaire d’histoire européenne
dans neuf pays et par la même occasion une première en Europe. Pour terminer, je mentionnerai
encore une grande exposition que la Ville de Louvain, le Musée ‘M’, l’Université de Louvain et les
Fondations d’Arenberg organiseront à Leuven en Belgique et qui s’intitulera ‘Arenberg en Europa’.
Je souhaite à tous les participants des journées fructueuses d’échange et rappelle bien volontiers les
trois axes principaux de mon discours de l’année passée, à savoir : pour tenter d’intéresser un large
public à nos travaux, il serait utile de traiter de sujets qui pourraient rejoindre l’actualité, à savoir le
pouvoir et l’exercice du pouvoir dans les Pays-Bas bourguignons qui rassemblaient des territoires
épars, la création des mécanismes de richesse à la fin du Moyen-Âge, notamment sous Philippe-le
Bon, et l’Ordre de la Toison d’Or, cette institution qui associait les puissants au pouvoir du souverain.
Il y aurait encore d’autres sujets à traiter dans le cadre de nos colloques, par exemple les familles
influentes à l’époque bourguignonne qui existent encore de nos jours et j’espère que notre visite aux
archives de la Maison de Croy le dimanche 25 septembre portera des fruits.
Je vous remercie pour votre patience.
Duc d’Arenberg
Président C.E.E.B
Münster, 22.9.2016