12–14 octobre 2023

XIème Conférence d’Arenberg pour l’Histoire: Le sang et la vertu. Noblesse de sang et noblesses d’âme au Moyen Âge

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L’existence, au Moyen Âge, d’une catégorie sociale disposant d’une situation élevée en raison de sa naissance est un véritable lieu commun. Dès le viie siècle, Isidore de Séville, jouait sur notus (de gnosco, "connaître") et sur ses dérivés notabilis et nobilis, et définissait le noble comme "celui dont le nom et la famille sont connus". Cependant, alors que cette qualité se transmet de manière héréditaire, la prééminence sociale de la noblesse est aussi justifiée par les qualités et les vertus éminentes de ses membres. Vers 1030, Wolfhere de Hildesheim rappelle, dans sa Vita Godehardi, que "nul ne doit être considéré comme noble s’il ne peut prouver avoir été anobli par la vertu". Les auteurs du xiie siècle reprennent longuement cette idée, s’appuyant sur les écrivains de l’Antiquité et notamment sur un célèbre passage des Satires de Juvénal : "À quoi bon les arbres généalogiques ? À quoi sert d’être célèbre en raison d’une longue suite d’aïeux ? La seule noblesse est la vertu".

Sous la direction de Martin Aurell, Xavier Hélary, Frédérique Lachaud et Clément de Vasselot.
Lieu: Poitiers.
Date: 12-14 Octobre 2023.

Plus d'informations: https://cescm.hypotheses.org/19877

Argumentaire

LE SANG ET LA VERTU.
NOBLESSE DE SANG ET NOBLESSES D’AME AU MOYEN ÂGE
COLLOQUE INTERNATIONAL
POITIERS, 12-14 OCTOBRE 2023
CESCM – UMR 7302 ET CRM – UMR 8596

 

L’existence, au Moyen Âge, d’une catégorie sociale disposant d’une situation élevée en raison de sa naissance est un véritable lieu commun. Dès le VIIe siècle, Isidore de Séville, jouait sur notus (de gnosco, "connaître") et sur ses dérivés notabilis et nobilis, et définissait le noble comme "celui dont le nom et la famille sont connus". Cependant, alors que cette qualité se transmet de manière héréditaire, la prééminence sociale de la noblesse est aussi justifiée par les qualités et les vertus éminentes de ses membres. Vers 1030, Wolfhere de Hildesheim rappelle, dans sa Vita Godehardi, que "nul ne doit être considéré comme noble s’il ne peut prouver avoir été anobli par la vertu". Les auteurs du XIIe siècle reprennent longuement cette idée, s’appuyant sur les écrivains de l’Antiquité et notamment sur un célèbre passage des Satires de Juvénal : "À quoi bon les arbres généalogiques? À quoi sert d’être célèbre en raison d’une longue suite d’aïeux? La seule noblesse est la vertu".

Cette contradiction est réutilisée à l’envi par les clercs qui, en opposant la noblesse de sang et la noblesse d’âme, entendent critiquer la conduite des aristocrates pour leur proposer un modèle comportemental davantage en accord avec la doctrine chrétienne ou encore mettre en exergue les qualités suréminentes d’une personnalité dépourvue de noblesse de sang mais revêtue de sainteté. D’autres penseurs résolvent assez facilement ce paradoxe apparent grâce à l’idée d’une transmission par le sang d’une prédisposition à la vertu. Si Jean de Meung, dans le Roman de la Rose, affirme d’abord "Nul n’est noble s’il n’est attentif aux vertus […] Noblesse vient des qualités de cœur. Car noblesse de lignage n’est pas noblesse qui vaille si la bonté du cœur y faille", il ajoute ensuite "Aussi, en eux doit reparaître la grandeur d’âme de leurs parents qui conquirent la noblesse par leurs grands exploits". Le consensus autour de la supériorité de la noblesse d’âme sur la noblesse de sang se traduit par une attente sociale de l’existence de ces qualités éthiques chez ceux à qui l’on reconnaît une prééminence héréditaire. Cela implique également la possibilité de sa perte comme le souligne Jean Miélot, traduisant le De nobilitate de Buonaccorso de Montemagno: "Cuides-tu que on doive appeler ceulx cy nobles, desquelz la vie a este plus meschant de tant quilz ont estaient en eulx la plus excellente lumiere de noblesse?" La réponse est sans appel: "Ilz ont deservi d’estre appellez non pas seulement non nobles, mais tres obscurs et descongneus". La valeur sociale du sang et de la naissance est donc contrebalancée par le comportement individuel qui rejaillit sur chaque dynastie nobiliaire.

Partant du constat que la tension entre sang et vertu dans la conception de la noblesse mérite encore d’être approfondie, tout comme du besoin de faire la synthèse des recherches souvent éparses sur ces questions, une première journée de prospection a été tenue en mai 2021. Il est apparu que la dimension éthique de la représentation de la noblesse offrait un champ d’étude encore en partie à explorer, et qu’il s’agissait d’une voie d’approche particulièrement riche et prometteuse pour renouveler les travaux consacrés à la noblesse. Le projet de colloque issu de ces premières réflexions a pour objet d’examiner la manière dont s’articulent, dans la Chrétienté latine médiévale, noblesse héréditaire et noblesse d’âme. Il invite les participants à se pencher sur les représentations mentales partagées ou, au contraire, antithétiques, que les non-nobles et les nobles pouvaient avoir de la dimension éthique du rôle social de ces derniers. Il appelle à une approche largement interdisciplinaire, dans la mesure où ces thématiques relèvent de l’histoire, de l’histoire de l’art, de l’histoire du droit et de la littérature. Le cadre temporel et géographique doit amener à saisir aussi bien les continuités que les évolutions ou les spécificités régionales.

Nous proposons trois axes de réflexion pour ce colloque:

  • Axe 1: La noblesse d’âme des nobles de sang.
  • Axe 2: La noblesse d’âme comme fait social.
  • Axe 3: La noblesse d’âme comme critère de noblesse.

Axe 1: La noblesse d’âme des nobles de sang.

Ce premier axe questionne les conceptions théoriques de la noblesse d’âme et de la vertu qui est attendue de la part des nobles. À quoi correspondent ces qualités éthiques que l’on exige des nobles? Quels sont les comportements attendus d’un noble qui permettent de justifier sa suprématie sociale? Peut-on parler d’une position univoque de la société face à ces attentes? Existe-t-il des modèles concurrents? Comment le noble vertueux ou, au contraire, son antithèse est-il représenté dans l’iconographie ou la littérature? Comment pense-t-on les rapports entre la virtus qui se transmet de manière héréditaire et les actes bons qui relèveraient du libre arbitre individuel?

Axe 2: La noblesse d’âme comme fait social.

Il s’agit ici de s’interroger sur la manière dont ces conceptions théoriques se traduisent dans les faits. Les nobles se sentent-ils tenus par des obligations éthiques? La dialectique entre le sang et la vertu est-elle reflétée par le système de valeurs que les nobles se transmettent de génération en génération? Se traduit-elle dans ses engagements politiques et religieux? Qu’en est-il des communautés non-chrétiennes au sein de la Chrétienté latine?

Axe 3: La noblesse d’âme comme critère de noblesse.

Ce troisième axe entend s’interroger sur la noblesse d’âme en tant que critère discriminant au sein du groupe social nobiliaire, mais aussi de la société toute entière. La reconnaissance de qualités éthiques peut-elle entraîner un anoblissement? Le mérite éthique facilite-t-il l’intégration à la noblesse? Est-il perçu comme déterminant dans l’ascension sociale? Quelle est la part de l’aspect éthique dans l’existence de professions anoblissantes ou, au contraire, dérogeantes? Quelle part tient l’absence de ces "qualités de cœur" dans la déchéance d’un noble? Est-il possible de perdre son appartenance à la noblesse pour des raisons d’ordre exclusivement moral? La chute d’un individu entraîne-t-elle la damnatio memoriae de toute sa maison? Existe-t-il des possibilités de regagner sa noblesse après une déchéance? Qu’en est-il des enfants d’un noble déchu? Comment cela se traduit-il aussi bien symboliquement que concrètement?