24–27 september 2018

Réunion Annuelle du Centre Européen d’Etudes Bourguignonnes, Wenen

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Autour de la Toison d’or. Ordres de chevalerie et confréries nobles aux XIVe-XVIe siècles

Toespraak door de Hertog van Arenberg, voorzitter van het Centre Européen d’Etudes Bourguignonnes

Chers membres et amis du Centre Européen d’Etudes Bourguignonnes,

liebe Gäste und Geschichtsinteressierte die an unserem jährlichen Treffen teilnehmen,

C’est avec grand plaisir que j’introduis ces « Rencontres autour de la Toison d’Or. Ordres de Chevalerie et confréries nobles aux XIVè-XVIè siècles » qui se tiendront dans la capitale autrichienne du 24 au 27 septembre.

Je me réjouis quant au choix proposé par les organisateurs de ces rencontres pour trois raisons principales.

Tout d’abord parce que les Pays-Bas Bourguignons, dont faisait partie la Belgique, sont intimement liés à l’histoire de la prestigieuse Maison de Habsbourg, sans aucun doute la plus prestigieuse de toutes les dynasties européennes, celle qui a régné le plus longtemps et dans des empires où le soleil ne se couchait jamais. En ce qui concerne la Belgique, la Maison de Habsbourg a régné dans nos provinces de 1477 à 1715 pendant la période dite bourguignonne puis espagnole et ensuite de 1715 à 1794 pendant la période dite autrichienne.

Je dois encore mentionner les liens étroits existants entre notre famille royale et la Maison d’Autriche.

Le roi Léopold II avait épousé l’archiduchesse Marie-Henriette de Habsbourg-Lorraine en 1853 et l’archiduc Lorenz est l’époux de la princesse Astrid depuis 1984.

Ensuite parce que le Centre Européen d’Etudes Bourguignonnes devient de plus en plus européen en continuant à s’ouvrir sur le monde germanique.

Der zweite Grund meiner Freude ist also, dass wir uns der germanischen Welt noch weiter geöffnet haben, und zwar mit dieser Veranstaltung in der österreichischen Hauptstadt und der Nominierung von neuen Mitgliedern des europäischen Zentrums für burgundische Studien die aus diesem Teil Europas kommen.

La troisième raison de mon intérêt pour le thème retenu par les organisateurs est un tantinet plus personnelle. En effet, les porteurs du fameux Ordre de la Toison d’Or originaires des Pays-Bas bourguignons ont été particulièrement nombreux. Je pense tout d’abord à la Maison de Croy qui a brillé de mille feux dans nos contrées, en particulier fin XIVè et début XVIè étant donné ses liens étroits avec l’empereur Charles-Quint. D’autres Maisons se sont aussi distinguées, en particulier les Ligne, les Lalaing et les Lannoy.

Il y a aussi la Maison d’Arenberg, les Ligne-Arenberg pour être précis, qui s’installent dans nos contrées après le mariage de Jean de Ligne avec Marguerite de La Marck-Arenberg en 1547 et délaissent progressivement les arides collines de l’Eifel et les plaines hollandaises pour se fixer au cœur des anciens Pays-Bas, ce qui se réalisera avec l’acquisition de la Seigneurie d’Enghien en 1607 par Charles d’Arenberg.

Je me suis amusé quelque peu à retrouver les traces de nos porteurs de la Toison d’Or et je vous livre ici le résultat de mes recherches. Il y a tout d’abord le 210ème membre de l’Ordre, à savoir Jean de Ligne, comte d’Arenberg en 1546. Le 268ème membre de l’Ordre, son fils Charles en 1586. Ensuite il y a eu, le fils du précédent Philippe-Charles qui devint le 338ème membre en 1617. Puis son frère Alexandre, le 361ème membre de l’Ordre en 1624 avant de perdre la vie au siège de Wesel en 1629. Il sera suivi par son cousin Albert, le 381ème chevalier de la noble confrérie en 1628.

Le fils d’Alexandre, Philippe reçoit le collier en 1646 (n°417) et son petit-fils Ernest le reçoit en 1675 (n°505). Le fils d’Albert, Octave devient membre de l’Ordre en 1682 (n°526) avant de tomber au champ d’honneur à Neerwinden en 1693.

Tous les ducs d’Arenberg ont été porteurs de l’Ordre, à savoir : Philippe François en 1646 (n°413), son frère Charles-Eugène en 1678 (n°517), son fils Philippe-François en 1685 (n°534) puis son fils Léopold-Philippe en 1700 (n°612), Charles-Marie-Raymond en 1757 (n°754) dont le port du fameux collier à la bataille de Torgau lui sauva la vie quand il y reçut une balle en pleine poitrine. En 1782, ce sera Louis-Engelbert (n°817) puis le 8ème duc Engelbert-Auguste (n°989) en 1862.

En tout, une quinzaine de membres de la Maison d’Arenberg ont eu l’honneur de faire partie de cet ordre prestigieux.

Rappelons brièvement ce qui signifie la Toison d’Or dans la mythologie grecque.

Dans la mythologie grecque, la Toison d’Or est la toison de Chrysomallos, bélier pourvu de grandes ailes sur lequel Phrixos et Hellé s’enfuirent pour échapper à leur belle-mère Ino. Ce bélier est immolé quand Phrixos arrive en Colchide en l’honneur de Zeus et sa toison est offerte au roi Eètès qui l’accroche à un chêne et la fait garder par un dragon. Le roi Pélias ordonne à son neveu Jason de s’emparer de la Toison d’Or qui réussit cette opération risquée avec l’aide de Médée, fille du roi Eétès, qui n’hésite pas à trahir son père et favorise la fuite de Jason et de ses Argonautes qui naviguaient sur l’Argos, un bateau ultra rapide (argos), d’où vient le nom de ses cinquante compagnons. En récompense, Jason pouvait espérer le trône que lui laisserait son oncle.

Chez les Grecs, cette légende symbolise un voyage dans un au-delà mystérieux d’où Jason doit revenir transformé et prend valeur d’initiation. La Toison d’Or est un gage de puissance et de fécondité. Elle donne surtout une légitimité et est un exemple de courage et de vaillance. En fait, cette légende est sans doute basée sur une véritable histoire, celle qui relate l’épopée de Grecs aventureux n’hésitant pas à traverser la mer noire pour aller à la recherche de l’or, de l’argent et du fer qui abondait paraît-il en Colchide, l’actuelle Svanétie dans le Caucase, la poudre d’or étant tamisée, voire conservée dans des peaux de mouton.

Rappelons maintenant les raisons qui ont poussé le créateur de l’Ordre de la Toison d’Or, Philippe le Bon, à imiter le roi Edouard III d’Angleterre qui créa l’Ordre de la Jarretière le 23 avril 1348 en pleine guerre de cent ans.

L’histoire nous dit que quand la jarretière de sa cavalière, Catherine de Salisbury, serait tombée par terre à l’occasion d’une danse, le roi Edouard III se serait écrié ‘Honni qui mal y pense’ et sans doute pour de bonnes raisons car les mauvaises langues prétendent que c’était sa maîtresse.

L’Ordre de la jarretière, l’Ordre le plus ancien et le plus prestigieux, aurait été nommé d’après cet incident, ce qui dénote un sens anglo-saxon de l’humour ma foi fort précoce.

En fait, le roi Edouard III avait de bonnes raisons de s’attacher la fidélité des grands nobles puisqu’il avait décidé d’attaquer le royaume de France de manière fort audacieuse et de briguer la succession des Capétiens.

A l’instar de son illustre prédécesseur, Philippe le Bon qui était occupé à constituer son Grand-Duché avec beaucoup d’habileté avait besoin du soutien nobiliaire pour asseoir son pouvoir dans les contrées nouvellement rattachées à son duché de Bourgogne. D’où la création de l’Ordre de Chevalerie de la Toison d’Or le 10 janvier 1430 à l’occasion de son mariage avec Isabelle de Portugal. Son premier chapitre se tint à Lille en 1431 et le port du fameux collier devint obligatoire la même année.

Un Ordre de Chevalerie était avant tout une création politique qui apparut au XIVème siècle et faisait suite aux ordres militaires de moines-soldats du XIIème siècle qui vit la création de l’Ordre du Temple, de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem et de l’Ordre Teutonique pour protéger la Terre Sainte ou convertir la Prusse païenne et des Ordres espagnols et portugais d’Alcantara, de Calatrava, de St Jacques et d’Avis pour permettre la Reconquista.

A la fin du Moyen-Age, la vassalité avait perdu son aspect exclusif et beaucoup de seigneurs étaient devenus vassaux de plusieurs suzerains, ce qui n’était pas du goût de souverains ambitieux, désireux d’entreprendre de grandes choses, ce qui impliquait une loyauté sans faille des puissants dont il fallait s’assurer la fidélité. C’est ainsi que s’explique le développement de l’idéologie de la Chevalerie si je peux utiliser un mot du XIXème siècle.

D’ailleurs, l’exigence d’être noble n’était pas une caractéristique de la Chevalerie car c’était la noblesse de comportement du chevalier qui induisait le statut de noble et de la noblesse. Une bonne vision des choses car l’exemple n’est pas la meilleure manière de convaincre les autres, mais le seul moyen de les convaincre et la mémoire collective n’a pas encore oublié le chevalier sans peur et sans reproche, le fameux Bayard.

Les Ordres de Chevalerie étaient donc une conséquence logique de ce nouvel état d’esprit et répondaient à une exigence politique d’organisation et de subordination, où le Grand Maître de l’Ordre, son roi ou prince créateur, exigeait une fidélité exclusive.

Parmi les Ordres de Chevalerie créés à cette époque, notons également l’Ordre de l’Etoile, créé en 1351 par le roi Jean-le-Bon, l’Ordre du Collier, créé en 1354 par le comte de Savoie, l’Ordre de l’Hermine créé en 1381 par le duc de Bretagne, l’Ordre de Saint-Hubert créé en 1422 par le duc de Bar.

Mais seuls l’Ordre de la Jarretière et l’Ordre de la Toison d’Or survivent de nos jours. C’étaient les Ordres les plus prestigieux et qui ont sans doute le mieux rempli leurs fonctions.

L’Ordre de la Toison d’Or était et demeure un Ordre de Chevalerie décerné pour « La très grande et parfaicte amour que avons au noble estat et ordre de chevalerie, dont de très ardente et singulière affection désirons l’honneur et accroissement par quoy la vraye foy catholique, l’estat de nostre mère Saincte-Eglise, et la tranquillité et prospérité de la chose publicque, soient, comme estre peuvent, deffendues, gardées et mainctenues ».

Philippe-le-Bon créa donc une confrérie militaire chrétienne, rassemblant sous son autorité 24 chevaliers, prestigieux représentants des plus hauts lignages des territoires qu’il rassembla au cours d’un long règne fructueux. Par la suite, le nombre des chevaliers sera porté à 31, puis à 51 et enfin à 61.

Outre les chevaliers, l’Ordre comptait quatre officiers, à savoir :

  • Le chancelier, homme d’église qui conservait le sceau de l’Ordre et célèbrait les messes
  • Le trésorier qui gèrait les deniers de l’Ordre
  • Le greffier, un secrétaire du Grand-Duc, qui gérait les archives
  • Le roi d’arme qui se chargeait du cérémonial et des usages héraldiques

Les chapitres annuels étaient tenus à Dijon (siège de l’Ordre) mais aussi à Bruges, Lille, Saint-Omer, Gand.

Les statuts de l’Ordre élaborés à l’occasion du premier chapitre qui se réunit pour la première fois à Lille en novembre 1431 prévoyaient que pour en faire partie, il fallait :

  • Etre de naissance noble
  • Etre élus d’abord par cooptation, puis nommés
  • Jurer aide et fidélité indéfectibles au duc de Bourgogne, puis à ses héritiers et à la foi chrétienne
  • Etre consultés dans les grandes affaires de l’état
  • Se réunir chaque année en chapitre
  • Exclusion en cas d’hérésie, de trahison, de fuite sur le champ de bataille et d’acceptation d’un autre collier
  • Participation obligatoire en cas de croisade

Dès 1431 également, à l’initiative du premier chancelier de l’Ordre, Jean Germain, on ajouta le patronage de Gédéon à celui de Jason, ma foi plus profane.

Dans l’Ancien Testament, au Livre des Juges, l’histoire de Gédéon, serviteur de Dieu, victorieux de surcroît sur les champs de bataille, faisait intervenir la toison d’un mouton fort à propos d’ailleurs et voici donc Gédéon, symbole de la force spirituelle qui manquait à Jason, devenir le deuxième patron de l’Ordre.

Philippe le Bon institua un lien fraternel, de fidélité à sa personne, avec de puissants nobles qui exerçaient déjà de hautes fonctions dans les institutions politiques et militaires bourguignonnes.

Philippe le Bon prit le risque calculé d’impliquer ses chevaliers avant d’entreprendre une guerre ou de prendre toute autre décision importante.

A l’occasion des chapitres annuels, les chevaliers ne devaient pas se découvrir devant leur souverain et pouvaient même formuler des remontrances dans un esprit de correction fraternelle.

Si l’idée de départ du Grand-Duc était de créer un Ordre exclusivement bourguignon, les nécessités de la grande politique le contraignirent rapidement à offrir le collier très convoité à des seigneurs étrangers afin de renforcer les alliances.

A la mort de Marie de Bourgogne en 1482, l’Ordre passa à la Maison de Habsbourg, à Maximilien, à son petit-fils Charles-Quint, à Philippe II d’Espagne puisqu’il était aussi le souverain des Pays-Bas espagnols.

En 1712, à la mort de Charles II d’Espagne, l’empereur Léopold Ier, chef de la branche autrichienne des Habsbourg, s’attribua également les titres et les souverainetés non territoriales de la Maison de Bourgogne car il estimait à juste titre représenter au mieux la continuation de l’Ordre puisque la branche espagnole avait disparu.

De nos jours, l’Ordre habsbourgeois de la Toison d’Or a conservé le caractère religieux et aristocratique de ses origines.

Son rituel d’admission demeure, avec adoubement par épée et serment solennel. La république d’Autriche l’a reconnu comme personnalité de droit international en 1953. Sa langue officielle est le français, ce qui me permet de prononcer ce discours dans la langue de Voltaire, qui est donc celle de l’Ordre.

L’Ordre espagnol a pour grand maître le roi d’Espagne. Le décret royal de 1847 en fit un Ordre à caractère civil et précisait qu’il continuerait à être régi par ses anciens statuts, avec les mêmes insignes et le même nombre de Chevaliers. Le roi Juan Carlos a nommé plusieurs souverains étrangers.

Il existe donc deux Ordres, chacun contestant la légitimité de l’autre mais la hache de guerre n’a jamais été déterrée.

Mesdames, messieurs, chers professeurs, liebe Gäste und Freunde des europäischen Zentrums für burgundische Studien,

Je termine cette brève introduction qui a planté le décor et rappelé certains faits aux visiteurs et personnes intéressées qui ne sont peut-être pas aussi à l’aise dans la thématique que les brillants conférenciers qui vont se succéder à cette tribune au cours des jours qui viennent.

Je vous souhaite de belles journées dans la prestigieuse capitale autrichienne et remercie tous les organisateurs de ces journées, en particulier les très dévoués secrétaires généraux, le professeur Alain Marchandisse et le conservateur Gilles Docquier, que je vous demande d’applaudir.

Ich wünsche allen Teilnehmern schöne und interessante Tage in der Oesterreichischen Hauptstadt und bedanke mich noch einmal sehr herzlich bei den Organisatoren dieser Konferenz.